Voici un article du journaliste Marcel Bauwens paru dans le dernier périodique de l'Association pour la Promotion de la Francophonie en Flandre :
Nous vivons dans un pays de Cocagne, point de rencontre de trois langues et trois cultures, abritant la capitale de l'Europe. Nous avons toujours été enviés pour notre sens des réalités et notre art de nous tirer des situations difficiles par nos fameux "compromis à la belge". Et aujourd'hui, nous risquons de mettre fin à cette situation privilégiée! Comment faire comprendre pareil non-sens? Nous sommes, depuis toujours, à la frontière des mondes germanique et latin. Par les hasards de l'Histoire, le français, langue de dispersion mondiale et porteuse de messages de liberté et de tolérance, s'est imposée dans le nord par le pouvoir royal ou impérial et la bourgeoisie possédante. Les Flamands ont dû défendre leur langue et se sont sentis humiliés.
Il y a un demi-siècle que les choses ont changé, sauf dans l'esprit de quelques pêcheurs en eaux troubles. Les Flamands ont reconquis leurs lettres de noblesse culturelles. Flamands et francophones ont négocié entre eux le tracé d'une frontière linguistique. On pouvait espérer la paix pour longtemps. C'était sans compter avec le nationalisme exacerbé d'une minorité en Flandre. Un nationalisme qui n'est pas seulement un repli sur soi, mais qui s'accompagne d'un rejet des Belges francophones. Ces derniers, en réplique, défendent à leur tour leurs droits remis en question.
Dans cet antagonisme, s'inscrit, pour une série de raisons qu'on ne peut analyser ici, un succès électoral considérable de l'extrême-droite en Flandre. Les partis traditionnels flamands y ont vu une menace telle que, pour ne pas perdre d'électeurs, ils ont emboîté le pas au Vlaams Belang, remettant en cause les accords du passé et créant des abcès de fixation : le régime des facilités dans la périphérie de Bruxelles et la scission de l'arrondissement de BHV. Les hommes politiques flamands oublient que les francophones ont fait des concessions aux Flamands en échange des facilités et du maintien de BHV. En toute honnêteté, si l'on remet en cause ces équilibres, il faut redonner la monnaie d'échange.
Imiter le Vlaams Belang est manifestement une erreur. Tous les sondages successifs, dont le dernier date de quelques jours, indiquent qu'une large majorité de Flamands et de francophones (plus de 78%) veut continuer à vivre ensemble. La surenchère nationaliste a mené par ailleurs à une série de dérives inquiétantes. Un "wooncode" qui force les candidats à un logement social en Flandre à prouver la connaissance du néerlandais. Les autorités communales d'un village qui interdisent aux commerçants d'utiliser pour leurs affichages une autre langue que le flamand sur un marché public. Le ministre de l'Intérieur qui refuse de nommer trois bourgmestres francophones de la périphérie, démocratiquement élus, arguant du fait qu'ils ont envoyé des convocations électorales en français, etc.
Cette situation commence à ternir très sérieusement l'image de la Flandre au niveau des institutions internationales et de la presse. Le New York Times et le Herald Tribune allant jusqu'à parler d' "épuration ethnique légalisée" et de "fascisme non violent". Il semble évident que la classe politique doit se ressaisir d'urgence pour mettre fin à un climat conflictuel et retrouver la voie d'une négociation fondée sur le respect mutuel et la bonne volonté réciproque.
Qui pourra convaincre les politiciens de tourner définitivement le dos au passé et de préparer l'avenir dans un état d'esprit nouveau? Le groupe de réflexion "België Anders/La Belgique Autrement"? Ce groupe constitué à l'initiative de Rudy Aernoudt qui eut maille à partir avec l'administration flamande dont il faisait partie, en raison de ses prises de position non-conformistes, réunit des personnalités francophones et flamandes de divers secteurs d'activité. Le groupe estime qu'une réforme de l'Etat ne doit pas être un but en soi, avec comme objectif de démanteler le niveau fédéral. Elle doit être motivée par un souci d'efficacité. Le groupe plaide pour un "multilinguisme actif". Il considère "le contact entre les cultures et les langues germaniques et romanes comme une source d'enrichissement". Et appelle à "plus de collaboration entre les régions et communautés", notamment au niveau culturel.
Nous, à l'Association pour la Promotion de la Francophonie en Flandre, avons toujours affirmé que le chemin de l'entente passait par la signature d'un accord culturel entre communautés. De grâce, qu'un effort soit fait rapidement en ce sens. Il est insensé que la Flandre signe des accords culturels avec un tas de pays, dont la France, mais qu'elle se montre réticente à propos d'un engagement avec la communauté française. L'accord qu'elle a signé avec la France a permis à la Flandre d'être invitée d'honneur au Salon du Livre à Paris. Jan Fabre tient actuellement une exposition au Louvre. Des semaines du film français ou francophone ont lieu un peu partout en Flandre à destination des élèves de l'enseignement secondaire avec le soutien des autorités françaises. Une deuxième Quinzaine française sera organisée à Anvers en octobre. Elle a pour but "d'approfondir le dialogue et la coopération franco-flamande".
Nous applaudissons à une initiative de ce genre. Mais nous regrettons que les francophones de Flandre soient complètement oubliés. Et nous posons cette question : comment se fait-il que la France puisse financer des activités culturelles en Flandre, alors que c'est interdit à la communauté française? La signature d'un accord culturel, d'ailleurs vivement recommandé par le Conseil de l'Europe, susciterait des échanges réguliers entre nos deux communautés.
Il faut absolument que les Flamands se rendent compte des changements qui se produisent actuellement. De plus en plus de francophones apprennent le néerlandais. Les Flamands, malheureusement, semblent ne pas vouloir le remarquer. C'est pourtant un élément important de rapprochement. Il y a plein de signes positifs qui devraient inciter à la confiance et à l'ouverture. En quoi les 300.000 francophones qui vivent en Flandre, s'ils organisent des activités culturelles, mettent-ils la Flandre en péril? Pourquoi les Flamands ont-ils peur de nous? La peur irraisonnée est mauvaise conseillère. En l'occurence, la crainte d'une éventuelle "reconquista" linguistique par les francophones ne correspond pas à la réalité.
Enfin, dans une société moderne où les échanges d'informations sont quasi instantanés via Internet, en plusieurs langues simultanément, il n'y a plus de problèmes de préséance entre ces dernières. On peut rêver d'une société multilingue où chaque citoyen serait servi administrativement dans sa propre langue, tous les formulaires et documents existant en plusieurs langues... De quoi relativiser et désacraliser les problèmes linguistiques!
Marcel Bauwens, président honoraire de l'Association générale des journalistes professionnels de Belgique.
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