Renée (en hommage à son oncle) - Victoire (en raison de la guerre) est née en octobre 1918 à Londres. Son père Edmond Carton de Wiart était le frère du premier ministre et écrivain Henry, mais il a eu aussi une vie bien remplie : secrétaire de Léopold II de 1901 à 1909, directeur à la Société Générale, président de la Royale Belge, administrateur de la Donation Royale, Grand Maréchal de la Cour du roi Baudouin. Originaire de la province de Namur et passionnée de musique, sa mère Louise de Moreau de Bioul a été dame d'honneur de la reine Elisabeth de 1930 à 1965, et présidente de la Croix-Rouge de Bruxelles. Le couple a construit une maison au square Montgomery à Bruxelles et acheté le château de Brumagne le long de la Meuse.
Renée-Victoire reçoit d'abord des cours à domicile avec deux amies, apprend l'anglais lors de ses séjours réguliers en Grande-Bretagne, et participe aux activités des guides et à des cours de danse. Elle effectue ses études secondaires chez les demoiselles de Decker et à la Sainte-Famille, puis trois années d'études supérieures à l'Institut Marie Haps.
Renée-Victoire nous raconte ses souvenirs du décès d'Albert Ier en 1934 : son père a participé aux recherches à Marche-les-Dames, sa mère était à Laeken avec la reine Elisabeth, et elle a assisté au transfert du corps du Roi de Laeken au palais royal. Les années suivantes, la jeune fille vit diverses expériences : voyages en Italie et en Egypte, audience privée avec le pape Pie XI, visite de deux charbonnages à plusieurs centaines de mètres sous terre, etc.
En 1937, elle rencontre Marc de la Boessière-Thiennes qui, suite à plusieurs décès, avait hérité du château de Lombise, d'un hôtel de maître à Bruxelles, d'un châlet à Crans-Montana en Suisse et du titre de marquis de sa famille paternelle, et du château de Sebourg en France et d'un hôtel de maître à Paris de sa famille maternelle. Ils se marient en 1938 à Brumagne, et partent en voyage de noces au Luxembourg, en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Le couple s'installe ensuite au château de Lombise, un village dont Marc est le bourgmestre. Ils auront quatre filles : Ella (dont la reine Elisabeth est la marraine), Prisca, Michèle et Nathalie.
Lors de l'invasion allemande en 1940, Renée-Victoire et sa fille aînée accompagnent les trois enfants du roi Léopold III en France, avant de les quitter pour rejoindre le château de la Bourdonnaye en Bretagne, propriété d'une tante de Marc. Durant l'été, elles rentrent au château de Lombise qui avait été occupé par les soldats français et allemands. Marc ayant caché les registres communaux pour éviter le travail forcé des hommes de Lombise, il est emprisonné trois mois par les Allemands. Ils sont à Bruxelles lors de la libération de septembre 1944 qu'ils fêtent joyeusement.
La vie de Renée-Victoire est bien remplie après la guerre : voyage d'un mois en 1947 au Portugal et en Espagne avec les reines Elisabeth et Marie-José, voyage aux Etats-Unis en 1948 à l'invitation des officiers libérateurs, présidence de la Fondation Comte Gaëtan de la Boessière-Thiennes en faveur de l'enfance, des Jeunesses Musicales de Mons et de la section hennuyère de l'Association Atlantique, construction d'un châlet de 11 chambres à Crans-Montana, voyages au Congo en 1957 et en Extrême-Orient en 1961, invitée de nombreuses réceptions de l'Expo 1958, dame d'honneur de la reine Sirikit de Thaïlande lors de son voyage en Belgique, etc. Lors de sa retraite, le roi Baudouin demande à Edmond Carton de Wiart ce qu'il souhaite comme cadeau. Il demande que son titre de comte soit transmis à sa fille Renée-Victoire et à ses quatre petites-filles. Ce qui fut fait.
Mais comme elle l'écrit elle-même, "la première moitié de ma vie n'avait été qu'une succession de bonheurs, ou presque. La seconde allait être plus dure...". Tout commence avec les décès de son père en 1959 et de Marc en 1962, à l'âge de 51 ans. En 1964, le château de Lombise est victime d'un gros incendie, mais les habitants sauvent spontanément les meubles et la bibliothèque. Deux années de travaux seront nécessaires pour le reconstruire comme au 18ème siècle, sans les mansardes rajoutées en 1880. Renée-Victoire succède à son défunt époux comme dernière bourgmestre de Lombise pendant deux mandats jusqu'à la fusion des communes, et se remarie avec Thierry de la Kethulle, un officier célibataire proche de la retraite.
Lors de la fusion des communes qu'elle déplorera toujours, elle organise une consultation populaire : une majorité d'habitants de Lombise marque sa préférence pour une fusion avec Silly, mais ils ne furent pas entendus et seront rattachés à la commune de Lens. Renée-Victoire se présente aux élections du Grand-Lens et devient présidente du C.P.A.S., une fonction qu'elle trouvera passionnante. Un nouvel incendie a lieu au château de Lombise en 1979, mais dans les dépendances cette fois. Entretemps, elle est devenue grand-mère et fait construire la villa "Thimouzet" au Portugal.
Sa vie est ensuite marquée par une succession de décès parmi ses proches : elle perd ses trois filles Prisca (en 1982), Michèle (en 1993) et Nathalie (en 2000), ainsi que son deuxième époux Thierry (en 1998). Après le décès de Prisca sans descendance, elle partage ses trois châteaux : Lombise à Michèle, Brumagne (victime à son tour d'un incendie en 2001) à Ella, et Sebourg à Nathalie. En 1987, elle crée avec sa dernière fille Ella le Club Montgomery, un club bilingue pour les femmes installé au rez-de-chaussée de sa maison du square Montgomery à Bruxelles (les étages sont occupés par ses petits-enfants et elle). Dans les années 90, elle préside également le comité de soutien de l'Œuvre Nationale des Aveugles et siège au conseil d'administration du Concours Musical Reine Elisabeth.
En 2002, Renée-Victoire écrit ses mémoires, publiées par les Editions Clepsydre. Malgré sa vie bien remplie, ses deux mariages heureux et sa fortune, elle confie : "Aujourd'hui, je suis la proie d'une grande tristesse lors des réunions de famille. Je m'y sens entourée et, en même temps, très seule : Thierry s'en étant allé lui aussi, je suis la dernière de ma génération, et la génération suivante a presque disparu. Je ne peux plus partager qu'avec Ella les nombreux souvenirs qui se rattachent à l'enfance de mes filles. Heureusement, son affection et celle de mes petits-enfants me procurent à la fois de la joie et du réconfort. Il faut y ajouter aujourd'hui la présence attendrissante de mes arrières-petits-enfants (...) De toute façon, je trouve que je n'ai pas le droit d'empoisonner l'existence de ceux qui m'entourent : je préfère garder ma souffrance pour moi. Ne se doit-on pas d'adopter un genre de vie supportable pour autrui?".
La comtesse Renée-Victoire Carton de Wiart est décédée en 2013.
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5 commentaires:
J'ai aussi une tante très courageuse qui a connu tous les malheurs de la vie et qui est restée souriante au demeurant.
Evidemment elle n'avait pas un petit "de" devant son nom et était roturière.
Elle n'a jamais roulé sur l'or et c'est pourquoi je la trouve bien plus méritante que cette madame Carton.
Triste, elle n'aura jamais les honneurs d'être racontée sur les blogues ....
merci petit belge de ta visite, en te souhaitant un excellent week end.
Josiane de Namur.
Youri, votre commentaire est mesquin et vous me semblez ruminer de la bile avec enthousiasme. Figurez-vous que l'on raconte aussi, parfois, les vies des humbles, et qu'elles sont lues avec la même curiosité et intérêt.
Vous aimez râler et venez sur ce site pour nourrir vos petits démons.
Moi je trouve cette vie intéressante, comme sans doute le fut celle de votre tante. Pourquoi ne l'écrivez-vous pas ?
Souriez chère Edmée...
Et merci pour vos compliments.
C'est très intéressant ! Je connaissais ce village pour l'avoir traversé à l'occasion d'un jogging il y a quelques années... excellent week-end lumineux, amitiés.
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