Comme le veut la tradition, le sympathique Lode Van Hecke a remis sa démission en tant qu'évêque de Gand le jour de ses 75 ans. Il a répondu aux questions du journal "Dimanche" :
"Comment regardez-vous ces cinq années passées en tant qu'évêque de Gand ?
- Ce fut un épiscopat court, notamment parce que les deux premières années ont été marquées par le Covid et que j'ai moi-même été gravement malade par la suite. Pourtant, je n'ai pas perçu cela comme un faux départ. La période du Covid m'a permis de rencontrer de nombreuses personnes. Chaque samedi après-midi, j'étais à l'église Saint-Pierre pour écouter des gens de tous horizons. Cela m'a permis de m'immerger pleinement dans leurs préoccupations. Les gens attendaient deux choses de moi : un leadership spirituel et une proximité avec eux. Dès le début, j'ai donc demandé à être chargé de l'administration afin de me concentrer sur deux priorités : aller vers les plus démunis dans l'esprit de l'Evangile et me consacrer aux jeunes, car ils représentent l'avenir.
- Avez-vous le sentiment d'être plus ancré dans le monde aujourd'hui qu'au temps de l'abbaye d'Orval ?
- Mon passage à Gand m'a confirmé qu'un moine ne perd pas le contact avec le monde. Même à l'abbaye d'Orval, j'avais de nombreux échanges qui me permettaient de garder un lien avec la société. Mais ici, tout est devenu plus concret. Par exemple, en communauté, nous priions souvent pour les détenus. A Gand, je les ai rencontrés et donc mis des visages sur ces prières. Ce qui était totalement nouveau pour moi, c'était la réalité de l'Eglise et de la culture flamandes. J'ai vécu longtemps en Wallonie, et les contextes sont très différents.
- En quoi les situations de la Flandre et de la Wallonie sont-elles si distinctes ?
- En Flandre, on est encore en train de se détacher d'un passé où le christianisme était omniprésent. Cette transition met une pression considérable sur l'Eglise. En Wallonie, cette période est déjà révolue : là-bas, les chrétiens forment une minorité depuis bien plus longtemps.
- Avez-vous déjà douté de l'existence de Dieu ?
- Oh oui ! J'ai grandi dans la foi et étudié dans une école catholique. Mais après le concile Vatican II, même nos professeurs de religion se posaient des questions. A un moment donné, j'ai décidé que Dieu n'était qu'un mythe dépassé. Pourtant, une interrogation me hantait : pourquoi des personnes intelligentes continuent-elles à croire ? J'ai alors commencé à lire la Bible, et tout s'est accéléré. Je voulais étudier la médecine et j'ai d'abord été impressionné par Jésus en tant que guérisseur. Puis j'ai réalisé que ce qui me fascinait chez lui venait de sa relation avec son Père. Alors, j'ai moi-même commencé à vivre à partir de cette relation de foi. Il suffisait d'être ouvert à la Parole, qui agit et transforme d'elle-même.
- Et c'est ainsi que vous avez découvert votre vocation de trappiste ?
- - A vrai dire, j'étais contre les moines cloîtrés. Je trouvais irresponsable qu'ils se retirent dans le silence et la prière alors qu'il y avait tant à faire dans le monde. Mais c'était la volonté de Dieu. Depuis mon entrée à l'abbaye d'Orval, je n'ai plus jamais douté de l'existence de Dieu, même si j'ai connu des périodes de crise.
- Orval vous a-t-elle manquée durant ces cinq années à Gand ?
- En vivant totalement selon la volonté de Dieu, je suis libre du manque. Cela dit, mon coeur est à Orval. J'y étais le père d'une communauté fragile et la quitter a été un véritable déchirement. Je sais que mes frères m'attendent. La phrase la plus touchante que le cardinal De Kesel a prononcée lors de mon ordination a été : "Lode, j'espère que tu garderas l'âme d'un moine". J'ai alors pensé : "Ouf, je peux être moi-même". Cela a été le cas durant ces cinq années.
- Quels sont vos projets pour l'avenir ?
- Je pense que Dieu décidera encore des aventures qu'il veut me faire vivre. Mais si je peux rêver, j'aimerais retravailler ma thèse publiée sur Bernard de Clairvaux pour un plus large public. J'ai eu l'occasion d'en parler à travers le monde et je pense être prêt à relier sa spiritualité aux questions contemporaines. Mais mes futures missions dépendront de mon supérieur à Orval".