lundi 26 juin 2023

Le prêtre belgo-brésilien Eugène Rixen

                              


Originaire de La Calamine (province de Liège),  le prêtre belge Eugène Rixen (79 ans) vit depuis plus de 40 ans au Brésil et est aujourd'hui évêque émérite du diocèse de Goias. Lors de sa venue en Belgique au printemps dernier, il s'est confié à la presse pour soutenir les collectes du Carême 2023 en faveur de projets sociaux au Brésil :

"D'oû vous vient cet attachement aux problématiques des travailleurs ruraux ?
- En 1983, j'étais curé à Promissao dans l'Etat de Sao Paulo, où ont commencé à venir des sans-terre, des gens expulsés des barrages et que j'ai accueillis dans la paroisse, que j'ai soutenus dans leur lutte pour obtenir un bout de terre. Il y a par ailleurs eu une grande réforme agraire à laquelle j'ai participé activement :  plus de 600 familles, dont la plupart fort liées au travail de l'Eglise et qui voulaient travailler la terre, planter des cultures différentes, qui étaient fatiguées de vivre en ville. Ca m'a ouvert les yeux sur le problème de la terre.

- C'est une réalité à laquelle vous ne vous attendiez pas ?
- J'ai toujours été sensible aux problèmes sociaux. En Belgique, c'était avec les gens de la rue. Les problèmes sociaux font partie de mon ADN. Alors, quand je suis arrivé au Brésil, je me suis tout de suite intéressé à ce genre de problématiques dans le diocèse de Lins, où l'évêque Pedro Paulo Koop m'a aussi ouvert les yeux là-dessus.

- En 1999, vous êtes nommé évêque de Goias, un diocèse très ancien au sein duquel votre prédécesseur s'est montré très actif sur cette problématique ?
- Oui. Quand j'ai été nommé évêque successeur de dom Tomas Balduino (fondateur de la Commission pastorale de la Terre), c'était justement à cause de ma sensibilité pour l'accès à la terre. Avec la présence de la Commission pastorale de la Terre, j'ai tout de suite embrassé cette problématique que j'ai soutenu : j'ai même aidé à la réalisation de différents assentamentos, j'ai visité plusieurs acapamentos et je me rappelle avoir parlé avec le ministre de la réforme agraire afin de libérer des terres. Au début, c'était surtout la lutte pour la terre, mais ces dernières années, c'est surtout la lutte pour une agriculture écologique, qui produit de l'alimentation pour la population.

- De nombreux autres Belges ont fait le choix de partir pour le Brésil (on pense notamment à Joseph Comblin) ?
- Je connaissais très bien Joseph Comblin, l'un des pionniers de la théologie de la libération et grand ami de dom Helder Camara. Nous nous sommes d'ailleurs rendus tout récemment à son mémorial avec les religieux belges qui se trouvent aujourd'hui au Brésil. Nous étions 8 prêtres et 2 religieuses (c'est moins qu'avant). Joseph Comblin est un grand nom, mais il y en a d'autres. Le plus grand bibliste brésilien est aussi un Belge d'origine : Johan Konings, décédé en 2022, un jésuite de grande renommée. Un autre jésuite qui a beaucoup aidé dans les enjeux sociaux du pays, c'est le Bruxellois Thierry Linard, décédé également en 2022. Tant d'autres ont eu une grande influence au Brésil.

- Vous évoquez la théologie de la libération. En quoi celle-ci a-t-elle joué un rôle dans l'attrait des Belges pour le Brésil ?
- Quand on est arrivé ici, on était très ouvert à cette théologie, une théologie plus sociale, plus engagée vis-à-vis de la réalité. L'Eglise brésilienne, du moins dans le diocèse de Lins où je me trouvais à mes débuts, était tout à fait dans cette ligne. On sent que beaucoup de Belges ont donné un grand témoignage ici, au Brésil, surtout dans la ligne de l'engagement social.

- Et aujourd'hui ?
- La jeune génération a beaucoup changé :  elle est beaucoup plus intéressée par la liturgie, même si elle continue à avoir encore des prêtres engagés socialement.

- Comment expliquer ce repli conservateur alors que le pape François est lui-même considéré comme un progressiste ?
- Cela me fait beaucoup souffrir. Mais il y a là toute l'influence des papes antérieurs, qui ont imprimé beaucoup de force aux mouvements charismatiques, traditionnels, et qui ont été très méfiants vis-à-vis de la théologie de la libération et d'une Eglise plus engagée socialement. Malheureusement, je ne sais pas si, avec le pape François, on arrivera à récupérer une Eglise plus engagée en ce sens. Il faudra du temps...".


jeudi 1 juin 2023

La politique belge vue par Carl Devos

                      


Le politologue Carl Devos (Université de Gand) a répondu aux questions du groupe Sud Presse sur la politique belge :

"Quel parti vous semble jouer le plus gros en 2024 ?
- Presque tous jouent gros. Les Verts se rapprochent du seuil électoral, ce qui pourrait les faire disparaître du parlement dans plusieurs circonscriptions. Pour eux, l'élection est existentielle comme pour l'Open VLD et le CD&V :  s'ils passent sous les 10%, ils deviennent des petits partis qui ne peuvent peser sur les formations. Ils risquent de voir certains de leurs élus partir ailleurs, à la NVA par exemple. La NVA subirait un affront si le Vlaams Belang devenait le premier parti en Flandre et dirigeait la formation du gouvernement flamand. La NVA serait poussée à rompre le cordon sanitaire s'il n'y a pas d'option pour elle au fédéral, ce qui peut la diviser en interne. Son rêve d'une CDU flamande, avec une partie du VLD et du CD&V, s'évanouira alors.

- Juin 2024, ce sont les élections de tous les dangers ?
- La situation est désespérée mais on en a l'expérience. Si la poussée des extrêmes oblige à une Vivaldi 2, ce sera à nouveau la misère : pas de vision, pas de cohérence, des disputes. Si les partis centristes perdent, qui aura l'autorité pour des réformes majeures ? Il n'y a plus d'homme d'Etat, que restera-t-il des grands partis après une nouvelle défaite ? Les relations sont déjà si tendues... Sur le plan budgétaire, ce sera une tâche jamais vue. De nombreux partis préfèrent la dissimuler aujourd'hui.

- Quels seront les enjeux mis en avant dans la campagne ?
- La migration, l'économie (les revenus, les prix), la sécurité sociale (pensions) et le fonctionnement du système politique.

- Bart De Wever peut-il réaliser son rêve confédéraliste ?
- Pas comme lui et la NVA le décrivent. Tout au plus un accord sur des compétences bicéphales dans le cadre fédéral. Une réforme de l'Etat nécessite 100 sièges sur 150 et la majorité dans les groupes linguistiques : cela me semble impossible vu le succès des partis radicaux. Les Verts et le MR n'en veulent pas. Le PS n'acceptera qu'en échange du refinancement des francophones et de Bruxelles. Mais l'argent fédéral est épuisé. Paul Magnette s'embarquera-t-il là-dedans après un succès du PTB ? La formation risque d'être longue et de n'aboutir que sous la pression des marchés financiers et de la Commission Européenne".