Voici une chronique de Charles Delhez sur le temps dans la revue "Dimanche" de l'Eglise Catholique de Belgique (www.cathobel.be), et qui mérite réflexion (qu'on soit catholique ou non) :
Anne passe de longues heures couchées. Elle attend que celui qui grandit en elle soit prêt à quitter le sein maternel pour accueillir le regard émerveillé de sa maman. Des heures à sentir le temps qui coule, à regarder le bleu du ciel qui nous enveloppe et les multiples nuances du vert des arbres et des plantes, à écouter le chant symphonique des oiseaux. Temps non pas perdu, mais d'attente et de contemplation. Quand Anne fera le bilan de ces semaines à l'horizontale, elle y verra moins de réunions, moins de petits plats mijotés pour les siens (ses amis s'en sont chargées), mais la tête toute ronde d'un bébé longuement et amoureusement attendu : "Moi, disait le Petit Prince, si j'avais cinquante-trois minutes à dépenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine…".
Hélàs, nous souffrons tous ou presque de chronophagite aigüe et vivons dans un court-termisme effréné, obsédés par nos fantasmes de perfection. Toujours plus et toujours plus vite! L'état d'urgence est permanent. Il nous faudrait 4,3 planètes pour notre consommation et des dizaines de pages en plus dans notre agenda. Nous voulons aller tellement plus vite que notre voyage entre passé et futur n'a plus le temps de s'arrêter au présent. La distinction entre vie privée et vie professionnelle, brouillée par le numérique, devient de plus en plus poreuse et notre action souffre de cécité, puisqu'il n'y a plus de place pour la contemplation.
Nous croquons la pomme de la toute-puissance en remplissant un maximum notre to-do-list. A force de courir pour tout faire, on ne fait plus rien à fond. Adam et Eve n'ont pas pu accepter les limites mises par Dieu, nous peinons à reconnaître celles de notre agenda. Du coup, nous manquons toujours de ce temps que l'on mesure actuellement au millième de seconde. Ah! Si nous devenions immortels pour pouvoir tout faire et ne renoncer à rien. "C'est à tort que les hommes se plaignent de la fuite du temps, en l'accusant d'être trop rapide, sans savoir qu'il s'écoule à la bonne vitesse" , disait déjà Léonard de Vinci.
Ce "pêché" abîme nos relations humaines. On tutoie de plus en plus vite, avant même d'avoir pris le temps de nous apprivoiser, pour parler comme le renard. Nous sommes hyperconnectés, envoyant rapidement des messages de plus en plus brefs. Nous multiplions les relations par peur du vide (combien d'amis sur Facebook?), tout comme notre hyperconsommation remplit le caddy. Quand j'étais jeune, entre une bamba, la valse et quelques rocks, on s'offrait un petit slow, histoire de se parler un peu. Aurait-on oublié la leçon du lièvre et de la tortue? Le petit Louis, 4 ans, lui, avait déjà bien compris : "Dis maman, c'est quand qu'on aura une après-midi à ne rien faire?".
Nous sommes toujours "le nez sur le guidon", sans prise de distance pour nous rappeler le sens et les priorités. Le livre qui a inspiré cette chronique, "Ralentissez", propose cinq minutes de lâcher-prise au milieu de nos horaires de travail pour nous vider la tête et laisser divaguer notre esprit. Saint Ignace de Loloya invitait les jésuites à s'arrêter un quart d'heure au milieu de la journée pour relire, sous le regard de Dieu, les heures écoulées et envisager celles qui s'annoncent.
La seule urgence devrait être de ralentir! Les moines, par exemple, ont un tout autre rapport au temps : "L'art de vivre monastique, c'est l'art de la respiration du temps", expliquent-ils. Au monastère, la cloche rythme les journées et relativise toute fausse priorité. Nous avons, quant à nous, perdu un certain rythme qui permet notamment de nous retrouver tous à table en famille et déconnectés de nos réseaux! Ne serait-il pas plus heureux, sans pour autant négliger notre travail, de retrouver le tempo des vacances durant toute l'année? La pénurie du temps nous interroge sur notre essentiel.
Charles Delhez
lundi 9 mars 2020
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2 commentaires:
Merci d'avoir repris cette belle chronique sur notre temps. L'épidémie actuelle oblige à ralentir, ce peut être l'occasion de prendre conscience de cette nécessité.
"Nous sommes toujours le nez sur le guidon, sans prise de distance pour nous rappeler le sens et les priorités" !!!
Cela ne sera plus le cas !!!
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