dimanche 19 février 2012

Les 75 ans du "Bon Usage"

Créé en 1936 par Maurice Grévisse et repris ensuite par son beau-fils André Goosse, "Le Bon Usage" a fêté ses 75 ans et a droit, à cette occasion, à une 15ème édition. André Goosse s'est confié à la revue "Le Carnet et les Instants" :

"Pour le 75ème anniversaire du "Bon Usage", il m'a paru opportun de publier une nouvelle édition. Elle a été élaborée plus rapidement que l'édition précédente, qui avait donné lieu à une refonte très importante. Il ne s'agissait pas cette fois de tout transformer à nouveau, mais d'apporter un certain nombre de corrections et d'additions, qui représentent une quarantaine de pages nouvelles. Une grammaire comme "Le Bon Usage" est toujours en chantier. C'est même ce qui fait sa particularité. La langue évolue, de nouveaux faits de langage apparaissent. Il faut être constamment aux aguets, lire le plus possible. L'avantage du grammairien, c'est qu'il est entouré d'informateurs. Je reçois beaucoup de courrier. Les uns m'adressent des observations, les autres me posent des questions auxquelles je n'avais pas pensé, et pour lesquelles je n'ai pas nécessairement de réponse définitive. Après quoi intervient un travail de recherche et de vérification, pour m'assurer que ce qu'on me signale ou ce que je sens spontanément n'est pas un phénomène éphémère ou isolé mais correspond à une tendance significative.

Ce à quoi l'on assiste fréquemment, c'est à des phénomènes de concurrence entre deux tournures, qui cohabitent jusqu'à ce que l'une finisse par remplacer l'autre dans l'usage courant. Maurice Grévisse a ainsi observé que l'emploi du subjonctif tendait à remplacer celui de l'indicatif après "après que". La première fois qu'on rencontre un tel phénomène, on l'enregistre comme un cas isolé, un accident ou une originalité. Mais si cela se généralise jusqu'à éliminer l'usage précédent, on est bien obligé d'en tenir compte et de le signaler. Dans le même ordre d'idée, je crois avoir été le premier à relever que la formule "n'avoir pas de cesse de" avait changé de nature et de sens. "N'avoir pas de cesse de", qui signifiait "n'avoir pas de repos", est devenu "n'avoir de cesse de " ("ne pas cesser de"). Personne n'a décidé ce changement : la langue est un bien à la fois personnel et collectif.

Plus récemment, j'ai constaté un recul de la proposition "de" au profit d'une simple juxtaposition. Et aussi, dans certains cas, un recul de l'article défini, peut-être sous l'influence de l'anglais et du langage publicitaire. Prenons "Internet". C'est un outil de communication au même titre que le téléphone. Et pourtant, c'est "Internet" plutôt que "l'Internet" (comme on dit "le téléphone" ou "la télévision") qui s'est imposé dans la langue courante. Je me suis aussi avisé que, dans la description des verbes réfléchis, il fallait prendre en compte l'arrivée d'un nouveau concurrent construit avec "s'auto-" ("s'autoproclamer"). On a là un phénomène lexical qui se traduit grammaticalement.

"Le Bon Usage" est la seule grammaire attentive à ces changements, comme aux particularismes géographiques qui sont souvent plus complexes que ce qu'on croit. Les dictionnaires vous diront que septante et nonante s'emploient en Suisse et en Belgique, alors qu'on les rencontre par exemple en Provence, et même sous la plume de Pagnol et Giono. De même, le mot souper se rencontre aussi en France, y compris dans la région parisienne.

Ce qui intéresse le grammairien, ce sont les agencements de mots, c'est la phrase. Des mots nouveaux apparaissent dans la langue du jour au lendemain, mais la morphologie et la syntaxe se transforment beaucoup plus lentement. C'est pourquoi il faut être prudent face au discours sur le déclin de la langue, à l'idée que les gens parlent moins bien que jadis. Par exemple, quand on parle du recul du subjonctif, on pense à celui de l'imparfait du subjonctif. En réalité, le subjonctif a progressé dans un certain nombre de cas.

Plus généralement, il faut tenir compte des transformations de la société : l'usage du français s'est généralisé au détriment des dialectes, beaucoup plus de personnes écrivent qu'autrefois, la radio et la télévision ont contribué à répandre un français moyen qui s'est superposé au français populaire. Ce français moyen est sans doute moins bon que le français parlé par le petit nombre jadis ; ce n'est pas pour autant qu'il faut parler de déclin".

10 commentaires:

peggy-e a dit…

Bonjour Petit belge
Oh oui , la langue française est bien compliquée et merci pour la présentation de cette nouvelle édition !
Pas très présente pour le moment sur les blogs amis...juste préparer quelques articles...
il y a tellement de paperasse....!
Bisous et bonnes vacances !
Christiane

philou a dit…

bonjour à toi
Grevisse un nom que je n'avais plus entendu depuis ma scolarité très très lointaine
comme quoi, la bonne langue française résiste aux aléas de la modernité (langage sms)
un petit coucou profitant de ce jour de repos pour recharger mes batteries quelque peu mises à mal par l'hiver rude
j'espère que tout va bien de ton côté
les amitiés de l'Irlandais

thierry a dit…

bonjour à toi,
un tres belle article, un bon debut de semaine

Edmée a dit…

Mais oui! Ca s'impose, car nous voulons évoluer, oui, mais avec grâce! Merci d'en parler...

serge a dit…

Oui, Petit Pelge, à l'époque, j'en suis témoin, l'enseignement c'était Grévisse, maintenant ... c'est gréviste, le bon usage de la langue française a été remplacé par le mauvais usage de la langue syndicale ! Ces propos sont à prendre au second degré, bien entendu...

serge a dit…

Je fais remarquer que dans mon commentaire précédent, le mauvais usage du clavier de mon PC peut aussi jouer des tours au bon usage de la langue française; tu es et resteras Petit Belge,

Henri Desterbecq a dit…

Excellent cet article, fine analyse. Tout est tellement compliqué et il y a des particularismes qui peuvent être dus à une méconnaissance. Ce qui me pose question, c'est l'emploi du subjonctif plus que parfait. Je trouve dans certains cas que le résultat frise le ridicule.
Amicalement. dinosaure80.

Micheline a dit…

Bravo pour cet excellent article. Merci Petit Belge !

Amalia a dit…

Ca me rappelle l'école normale, où nous l'avions étudié en long, en large et en diagonale! Il est toujours dans ma bibliothèque, au cas où...

carine-Laure Desguin a dit…

Plus je creuse ...plus je m'aperçois de mon ignorance ! Quelle horreur ! Et que dire de la nouvelle orthographe ? Pffff, mon dictionnaire est en permanence sur mon bureau et j'avoue que je le consulte beaucoup plus qu'avant ...