L'auteur franco-belge Eric-Emmanuel Schmitt est revenu sur ses liens avec la Belgique pour les journaux du groupe Sud Presse :
"Nous nous trouvons dans votre maison en pleine campagne hennuyère. Que représente ce lieu pour vous ?
- C'est ma vraie maison dans le sens où c'est devenu la maison de famille et la maison des amis, puisqu'il y a quand même beaucoup de chambres. C'est un lieu de rassemblement, c'est l'endroit où je passe Noël et l'été. Je me suis fait ce cadeau où je peux avoir une maison et être le patriarche de la famille et faire plaisir à mes amis. La maison existe depuis des siècles et c'est comme si elle était dans ma famille depuis toujours.
- Il y avait toujours ce désir chez vous de posséder un tel lieu ?
- Jusqu'à mes huit ans, j'ai vécu dans un immeuble qui dominait tout Lyon et, du balcon, je voyais toute la ville. Les jours de beau temps, je voyais les Alpes. Le monde m'était offert comme un spectacle. Si vous voulez avoir un enfant dramaturge, trouvez ce genre d'appartement... Et pour la philosophie, c'est bien aussi, il y a de la distance, un point de vue. J'étais très comtemplatif sur ce balcon. Après, on est parti à la campagne. Mes parents avaient fait construire une maison dans ce qui devait être un lotissement mais on était la seule maison. J'étais entouré de champs, de bois, de domaines avec des châteaux. J'ai vécu dans ce monde-là et, quelque part, je pense que je veux toujours le retrouver.
- Tout ramène toujours à l'enfance, même si tout le monde ne s'en rend pas compte?
- Oui, c'est fondateur. J'ai besoin d'alterner la ville et la campagne, j'ai besoin de voir passer les saisons. Une vie totalement urbaine me frustre.
- Et pourquoi ici dans le Hainaut en Belgique ?
- Un coup de foudre pour la maison. Et un coup de foudre confirmé par ma chienne, qui maintenant est morte la pauvre chérie. Elle s'est mise sous le tilleul et ne bougeait plus. On ressentait une paix. En fait, c'est parce que j'ai trois sources dans mes caves. C'est un lieu paisible, géologiquement, il doit y avoir quelque chose qui se passe. Et ma chienne avait repéré ça.
- Vous avez choisi la Belgique comme votre autre pays, votre double nationalité depuis plus de dix ans maintenant ?
- C'est une addition, je suis Français et Belge. Ma vie privée s'est tout à coup faite en Belgique. Et quand je me suis rendu compte que j'y étais bien, que j'y resterais, que c'est là que je vivrais, parce que je payais mes impôts et m'y faisais soigner, je me suis dit autant être un citoyen à part entière. Et puis, c'était un acte d'amour. C'était ajouter à mon identité. Je ne l'aurais pas fait si ça avait été exclusif, si j'avais dû laisser tomber ma nationalité française. L'addition était possible et ça, c'est moi.
- Ce côté positif vous caractérise énormément ?
- Je découvre que ça me caractérise. Je ne le savais pas du tout il y a 20 ans. J'ai pris conscience de ma différence (parce qu'il me semblait normal d'être comme ça) à force de voir des collègues écrivains déprimés, anxieux, trouvant que ce métier est horrible, alors que je le trouve absolument délicieux. Après, ils me demandent comment je fais tout ce que je fais. Et je leur réponds : la joie ! La joie décuple la force et le pouvoir de faire. Spinoza a beaucoup écrit là-dessus. Et donc, je pratique la joie. Il vaut mieux cultiver l'optimisme et la joie que la tristesse et le désespoir. Je suis aussi né dans une famille aimante et c'est un cadeau énorme. Je suis souvent très intime avec des gens qui n'ont pas connu ça. J'ai envie de rendre ça, j'aimerais être contagieux au niveau de l'optimisme, de la confiance, même de la foi.
- Le succès décuple-t-il aussi la force ?
- Le succès est un énorme cadeau, bien sûr. Mais il est fragile. Je ne crois pas qu'il m'est dû. Je le reçois à chaque fois comme un présent. Je sais que d'emblée, mes livres sont tirés à 100.000 exemplaires, et, en Belgique, je pense qu'il n'y a qu'Amélie Nothomb et moi. La reconnaissance donne des ailes.
- Ne pas avoir d'enfant, c'est un regret dans votre vie ?
- Enorme. Heureusement, j'ai eu des belles-filles, même mes neveux. A un moment, je les ai élevés parce que leur mère avait un cancer. En fait, chez moi, c'est la volonté de donner, de transmettre. Donner de la confiance, de la sécurité, de l'amour et éventuellement des connaissances, une culture, une joie de vivre aussi. Et ça, on ne donne jamais assez. Donc, je suis toujours frustré quand même, même si j'ai pu le faire".
1 commentaire:
Merci pour cet entretien, son optimisme fait plaisir à lire.
Enregistrer un commentaire