dimanche 7 octobre 2012

Tom Lanoye, un écrivain belge engagé

Un des objectifs de ce blog est de mettre à l'honneur les Belges qui jetent des ponts au-dessus de la frontière linguistique. La semaine passée, je vous parlais de l'humoriste Bert Kruismans qui alterne spectacles en français et en néerlandais. Aujourd'hui, laissons la parole à l'écrivain Tom Lanoye dont les livres sont traduits en français depuis deux ans (voir mon article précédent à ce sujet :  http://ecrivainsbelges.blogspot.be/2012/03/les-flamands-la-foire-du-livre-de.html).

Tom Lanoye a décidé d'aller plus loin en jouant, seul en scène, la pièce tirée de son roman "La langue de ma mère", moitié en français, moitié en néerlandais, le tout sous-titré (du 9 au 13 octobre au Théâtre National à Bruxelles, du 16 au 18 octobre au Théâtre Royal de Namur). Elle raconte l'histoire de la perte soudaine de la parole de sa mère actrice. Cette pièce bilingue est également un geste politique pour cet écrivain belge qui s'était beaucoup engagé en 2006 à Anvers contre l'extrême-droite, et ces derniers mois contre le parti séparatiste NVA de Bart De Wever.

Tom Lanoye s'explique au journal "Le Soir" :

"Le bilinguisme, c'est ce qu'il faut faire aujourd'hui en Belgique?
- Faire cette représentation me procure un plaisir énorme, même si le sujet est très lourd, car c'est un hommage à la fois à ma mère, au théâtre, à la langue, aux langues maintenant. Entre lecture, monologue, performance, j'entre dans un no man's land tout à fait belge, en mélangeant ces deux langues et cela devient magique. On va dire qu'on est génial car cela devient un message symbolique : il y a d'autres Flamands que les flamingants, il y a de la belgitude dans la flamanditude, et vice-versa. Car mon livre parle non seulement de la Flandre et de moi, mais aussi de la Belgique et de thèmes universels tels que la perte non seulement de la langue mais d'une vie. Cela ne va pas changer beaucoup de choses mais au moins, je peux, comme écrivain flamand, montrer ma propre oeuvre en ne cherchant pas la scission, mais ce qui nous est commun en Belgique. J'ai la même position comme écrivain que les metteurs en scène et acteurs flamands : nous cherchons à mélanger les styles, les registres, les différents médias. Quand je suis sur scène, je suis écrivain, fils, entertainer, raconteur. Je lis mon propre texte mais cela se mélange, j'espère, à mon goût du théâtre et à un talent, que j'ai hérités de ma mère. Tout devient un stoemp littéraire à la belge.

- Faut-il y voir un geste politique?
- La beauté, c'est que c'est politique, sans l'être. Je ne vais pas faire sur scène des remarques sur les flamingants et les élections, mais le fait même de donner une pièce bilingue est politique. Cela veut dire que la scission n'est pas réelle, que quand on fait un effort des deux côtés et qu'on utilise les moyens modernes et personnels, on peut plus ensemble. Comme les Diables Rouges!

- Les artistes belges qui font ces ponts au-dessus de la frontière linguistique, ne nient-ils pas les différences entre les deux communautés?
- Croit-on vraiment que les gens d'Alaska et d'Alabama pensent qu'ils sont d'une même planète? Qu'ont-ils de commun? En Europe, on se demande si on doit faire une Europe des nationalismes! Regardons les grandes économies en croissance : la Chine, l'Inde, la Russie, l'Afrique du Sud ne sont pas des Etats-nations. Ils sont multiculturels, multireligieux, multilingues. Le Brésil est peut-être le plus homogène. Mais ce mot me gêne énormément. L'Etat-nation, c'est une solution du XIXème siècle pour des problèmes du XXIème siècle. C'était déjà une mauvaise solution au XIXème et aujourd'hui ce n'est plus faisable.

- Le sens que vous donnez à votre prestation au Théâtre National va-t-il être infirmé ou confirmé à Anvers le soir des élections du 14 octobre?
- La plupart des journalistes sont défaitistes. Comme en 2006, ce sera Patrick Janssens qui va gagner. Quel sera le score de Filip Dewinter? Et combien de % du Belang iront chez Bart De Wever? C'est la raison pour laquelle Bart De Wever n'est pas flou quand il se dispute avec Filip Dewinter, mais ne dit rien sur les ex du Vlaams Belang qui viennent dans son parti. La NVA aurait dû leur demander de signer un texte qui les engage. Or il reste un flou artistique, électoralement rentable, mais avec quel impact pour le futur?

- Vous dites comme Guy Verhofstadt : NVA et Vlaams Belang, c'est kif-kif?
- Non. Ce n'est pas vrai dans les faits. Je n'ai pas de problèmes avec des gens qui disent démocratiquement qu'il faut divorcer. Comme Flamand, je ne veux pas que la Belgique disparaisse car on a beaucoup à y perdre. Que pèse la Flandre par rapport à la Chine? C'est comme si les Marolles disaient qu'elles allaient se séparer du reste de l'Europe! Bart De Wever est très ambigu sur la multiculturalité. En même temps, il n'a pas une idée ethnique des Flamands ou d'une purification ethnique des Flamands. Certes, il joue au gentil et au méchant, alternativement. Ainsi, il a craint que les bagarres à Borgerhout renforcent la séduction du Vlaams Belang, d'où sa sortie totalement folle :  "La ville n'est pas à tous". Il se rétracte ensuite en disant :  "La ville est de tout le monde si tout le monde est de la ville". Qu'est-ce que cela veut dire? Je mange quand j'ai faim et je ne mange pas quand je n'ai pas faim? Mais bon, rhétoriquement, il est fort.

- Il n'a pas de colonne vertébrale?
- Pour le moment, il n'a que sa colonne vertébrale, le reste a disparu! C'est un stratège énorme. Evidemment, il ne montre pas sa colonne vertébrale et sa seule idéologie, le nationalisme :  son but est de terminer la Belgique. Il doit faire un zigzag stratégique, comme le font tous les politiciens. Je suis très déçu par Bart De Wever car je croyais qu'il était un vrai conservateur mais en fait, c'est un politicien qui fait de la politique rhétorique, mais n'a rien gouverné en 20 ans... On n'a jamais entendu un seul mot venant de lui comme membre de la coalition à Anvers. Un pied dedans, un pied dehors : il joue ce jeu très bien. Mais c'est aussi grâce à la faiblesse des trois autres partis traditionnels. Maintenant, à Anvers, il a finalement un adversaire face à lui : le bourgmestre sortant Patrick Janssens.

- Ne faudrait-il pas qu'il gagne à Anvers et échoue en gérant la ville?
- J'habite à Anvers et j'ai un seul but : que la ville soit bien gouvernée. Or c'est le problème. Tout le monde sait qu'il restera président de son parti. Il n'a jamais rien conduit, sauf sa voiture. Et maintenant, il dit qu'il va combiner la ville et le parti? Je n'ai pas besoin d'idéologie pour être choqué.

- Le bilan Janssens, ce n'est que du positif?
- L'atmosphère amère s'est transformée en fierté. Patrick Janssens a de grands projets et des propositions structurelles, il sait bien organiser, il l'a prouvé. Je n'ai pas aimé, par contre, sur des dossiers symboliques comme le port du foulard, la décision qu'il a prise mais aussi la manière dont il l'a prise et forcée. C'est mieux, bien sûr, que quelqu'un sache gouverner plutôt que de discuter sans fin, comme à Bruxelles. Mais de temps en temps, c'est trop. On dt qu'il considère les gens comme des clients. J'ai un problème avec cela, bien qu'il soit comme moi fils de boucher mais sans les lunettes qui font la différence...

- Si Bart De Wever gagne à Anvers, c'est le début de la fin pour la Belgique?
- J'étais plus pessimiste il y a quelques mois. Car avoir la réforme de l'Etat et un gouvernement, c'est mieux que de ne rien avoir. La NVA, elle, est devenue une armée mexicaine. Ce n'est pas un parti mais le fan-club de Bart De Wever avec quelques bons, mais, rares, politiciens. La plupart des membres de la NVA sont des opportunistes, des ratés venus d'autres partis. Cela veut dire quoi du point de vue idéologique? Même à Anvers, le seul ciment de la liste, c'est Bart De Wever et les grands ennemis que sont la Belgique et le socialisme. Ce n'est pas de la propagande mais je crois vraiment que Bart De Wever ne va pas gagner à Anvers. Regardez la dernière page du magazine de campagne de Patrick Janssens consacré à son rêve. Ca, c'est important. Je n'ai jamais entendu ce qu'était le rêve de Bart De Wever comme bourgmestre. Peser 60kg? Changer deux slogans? Chasser les dealers, casser le socialisme? Cela va changer tout? On va se réveiller dans un Walhalla flamingant où tous les problèmes seront résolus? Sa promesse, c'est lui, uniquement, et cela ne me suffit pas".

5 commentaires:

Anonyme a dit…

*** Coucou Petit Belge :o) !
Merci pour ce beau partage !
GROS BISOUS de Thaïlande et
Bon après-midi ! :o) ***

Apolline Elter a dit…

Je découvre ce bel article - Bravo et merci pour ces billets bien intéressants que vous concoctez

Cordialement,
Apolline

jacques robert a dit…

Intéressant, vraiment !

Henri Desterbecq a dit…

Pour moi, un grand monsieur. Son analyse globale est correcte quoique un peu forcée peut-être. Ses propos sur la NVA sont très pertinents et rencontrent mon opinion. Merci pour la découverte. Amicalement. HenriD.

willy a dit…

Tom Lannoye..

toujours intéressant ..

bon weekend