samedi 8 novembre 2008

Article du journal français "La Tribune"

België barst! Belgique crève! Le slogan des ultras flamands semble soudain appartenir à une période révolue. Tard dimanche soir, l'Etat belge a débloqué en urgence 3,5 milliards d'euros pour sauver KBC, la plus grande banque de Flandre. Après Fortis et Dexia, les deux principales banques belges, c'est le troisième fleuron de la finance que les autorités ont dû secourir.

En l'occurence, il ne s'agit ni d'une nationalisation, ni d'un démantèlement. En échange des facilités qu'il octroie, le gouvernement belge entre au capital et disposera de deux sièges au conseil d'administration, mais sans prise de contrôle. Rien ne suggère, du côté de l'opinion nationaliste flamande, un mouvement de refus : l'aide de l'Etat belge, non merci! Au contraire. Les séparatistes, qui constituent une portion bruyante mais minoritaire de la population flamande, reprochent d'ordinaire à la Belgique de siphoner l'argent de la Flandre pour le redistribuer en Wallonie. Ils trouveront peut-être que l'injection de capitaux publics dans le bancassureur n'est qu'un juste retour des choses.

En attendant, le gouvernement belge réalise une sorte de tour de force. Yves Leterme, le premier ministre, a réussi à se maintenir au pouvoir depuis six mois sur des bases extrêmement fragiles. Ce Flamand considérait il y a encore quelques mois que la Belgique en soi "n'avait pas de valeur ajoutée". Il a plusieurs fois remis la démission de son gouvernement parce qu'il ne parvenait pas à faire accepter par les élus francophones une renégociation des pouvoirs au sein de la Belgique.

Et c'est cet homme-là, le moins philobelge des dirigeants qu'ait produits ce pays depuis sa création en 1830, qu'il revient d'incarner l'Etat unitaire et salvateur dans la crise. Il y a gagné une surprenante popularité chez les Wallons et les Bruxellois. La Belgique a prouvé sa pertinence dans la crise. Reste à savoir jusqu'où son Etat peut s'engager sans y perdre sa propre crédibilité financière.

Sophie Gherardi, directrice adjointe de la rédaction du journal français "La Tribune" (27/10/08).

3 commentaires:

Daive a dit…

On finirait par y croire...

Alain a dit…

D'accord avec ton post, néanmoins je suis curieux de voir comment il va gèrer cela l'année prochaine ...
Amitié.

Youri a dit…

J'aimerais vous proposer une très fine analyse de François Barberis.
Chercheur français, il analyse depuis plusieurs mois les événements belgo-belges.
Il résumera mieux que moi la situation après les péripéties bancaires où nous avons vu l'état fédéral se précipiter pour renflouer KBC alors que la Flandre refuse de participer au budget de l'état sauveur de la banque flamande.
Bonne lecture.



Nouvelles lignes géostratégiques

Après le passage de la crise bancaire et financière, jamais la Wallonie (et Bruxelles, mais dans une moindre mesure) n’ont semblé aussi proches de la France. Elles l’étaient déjà par leurs déterminants culturels et linguistique ; on sait combien la présence d’intérêts économiques et commerciaux français est importante en Wallonie (près de 40% du tissu industriel, la quasi totalité du marché de l’énergie, idem pour le réseau des grandes surfaces). Mais il restait un domaine dans lequel les intérêts belges prédominaient, quoique déjà entamés par AXA, c’était celui de la banque et de l’assurance. Ceci n’est plus vrai aujourd’hui. Selon les chiffres fournis par Fortis, la situation en décembre 2006 du marché de l’épargne populaire et de l’assurance vie était la suivante (http://www.fortis.be/FR/General/links.asp)
- Epargne courte (dépôts, livrets) : Fortis banque : 45 milliards d’€ en dépôt ; Dexia : 27 milliards d’€ ; KBC : 23 milliards d’€ ; ING, Argenta, Barclays, etc… 30 milliards d’€. Soit un total d’épargne courte des ménages de quelques 125 milliards d’€ en décembre 2006 (le tiers environ de la PIB belge).
- Epargne longue (assurance vie) : Fortis : 26,5% de parts de marché, Axa : 12,7% de parts de marché, Dexia : 10% de part de marché, Ethias 13%, KBC 15% (montants en volume non communiqués, mais dont ont peut penser qu’ils sont du même ordre, voire supérieurs à ceux de l’épargne courte, soit 125 milliards d’€ supplémentaires).
Ces chiffres valent pour l’ensemble du territoire belge. Ils confirment l’idée d’une très forte épargne, tant chez les Fr que chez les Fl. Et ils confirment l’analyse que le contrôle de cette épargne constitue un enjeu stratégique majeur.
Jusques récemment, cette épargne était majoritairement contrôlée par des intérêts locaux, principalement flamands (KBC, ING, Fortis), accessoirement bruxellois (via Dexia). Les wallons, malheureusement pour eux, n’ont jamais exercé un très grand contrôle sur leur propre épargne.

Quelle est la situation après le passage de cette crise qui a vu la reprise de Fortis Banque par BNP (à 75%) et la prise de contrôle de Dexia par la Caisse des dépôts ?
A eux trois, BNP-Fortis, Dexia et AXA détiennent et contrôlent désormais près de 53% de l’épargne courte et longue des belges, flamands et francophones confondus. S’agissant d’une moyenne, on peut penser que ce chiffre est plus proche de 70% en Wallonie et de 60% sur le territoire de Bruxelles et de 40% en Flandre.
A ce seul titre, on comprend mieux comment la Wallonie et Bruxelles, qui ne disposent pas d’un organisme financier autonome comme KBC l’est pour la Flandre, dépendent désormais, non seulement pour leurs finances publiques locales, mais aussi pour toutes sortes de projets privés, de décisions qui seront prises en dehors de leur territoire et principalement dans les sièges parisiens de ces organismes.
Cette situation, dont certains se réjouiront, est malsaine pour tout le monde. Elle est malsaine pour les wallons et les bruxellois qui, ne faisant pas partie de la République, ne peuvent agir via leur représentation politique sur les choix d’investissement et de réorientation de cette épargne collectée sur leur territoire, au bas de leur porte palière.
Elle est malsaine pour la France, en tant qu’état démocratique et républicain qui se voit reprocher toujours plus de manœuvres et de manipulations occultes, alors que, répétons-le, il n’y a pas de complot français contre l’épargne wallonne, bruxelloise ou belge, il n’y a pas de complot français contre la Belgique en général, mais simplement occupation d’un vide stratégique mis en lumière par la crise financière. En ce sens, il est outrageant de représenter la France comme un prédateur, alors qu’elle n’intervient dans le dossier belge que lorsqu’elle est sollicitée, et toujours comme amie de la Belgique.
Elle est malsaine pour l’état fédéral belge, qui, en autorisant la cession Fortis-BNP et la montée en contrôle de la CDC dans Dexia, a perdu ses principaux guichets auprès de qui il pouvait jusqu’à présent placer sans trop de difficultés ses propres obligations d’état émises pour couvrir le déficit budgétaire ou celui des transferts sociaux. On peut légitimement penser en effet que BNP-Fortis et le nouveau Dexia seront moins dociles que leurs prédécesseurs pour absorber cette masse considérable de titres de la dette fédérale belge, voire même qu’elles prendront toute sortes d’initiatives pour remettre en marché les titres déjà détenus, en raison des difficultés du marché interbancaire, ce qui aura un effet négatif considérable sur le Trésor belge, par la remontée (déjà sensible) des taux d’intérêts qui seront appliqués à la dette souveraine belge.
Cette situation est malsaine pour KBC et la Flandre, puisque le seul guichet désormais complètement ouvert au gvt belge pour placer sans trop de difficultés ses titres de la dette, c’est KBC, qui peut d’autant moins refuser que cette institution vient d’accepter 3,5 milliards d’aides en fonds propres. Or un amoncellement de titres de la dette souveraine belge dans les comptes de KBC serait rapidement mortel, et ont peut s’attendre à des réticences de plus en plus importantes de cette banque pour jouer ce rôle de pompier des finances publiques belge.
Elle est malsaine et même destructrice pour la solidarité interpersonnelle entre Nord et Sud du pays. Déjà, le nord est plus que réticent pour poursuivre ses transferts sociaux vers le sud, estimés selon les auteurs de 2 à 8 milliards d’€.. Ceci signifie que si cette réticence se poursuivait et s’amplifiait, ce qui est plus que probable, l’état fédéral devra se substituer au gvt flamand pour financer cette solidarité interpersonnelle (assurance maladie et retraite) à laquelle les gens du sud sont très attachés. Mais comment pourrait-il le faire autrement qu’en émettant de nouveaux titres de la dette que précisément KBC ne pourra pas absorber, sauf à exploser…, puisque le gvt flamand refuse déjà les subsides à son état central.
Les citoyens wallons et bruxellois qui croient encore à la possibilité de maintenir un flux financier suffisant entre nord et sud pour assurer la solidarité interpersonnelle, en fait le financement des retraites et des dépenses de maladie du sud par le nord, et sont prêts à assumer une solution confédérale pour peu que ces transferts soient maintenus et garantis, doivent aujourd’hui se convaincre que ce schéma est désormais infaisable, puisque les 2 principaux guichets auxquels pouvait s’adresser leur propre gouvernement sont réduits, voire fermés.
La crise a définitivement détruit la faisabilité du schéma confédéral belge comme une voie possible pour maintenir en vie la solidarité interpersonnelle nord-sud.
En ce sens le confédéralisme belge est une solution dépassée.
Il n’y a désormais que deux voies possibles pour reconstruire la solidarité interpersonnelle:
- le retour à un schéma unitaire et intégré ; c’est-à-dire la construction d’un vrai état avec disparition des gouvernements régionaux et la reprise en main de l’épargne nationale par un effort public de rachat des actifs, un vrai contrat national d’égalité et de solidarité entre les ex-communautés, une vraie sécurité sociale.
- la partition du pays, chaque région disposant de son épargne et organisant avec ses partenaires naturels la solidarité interpersonnelle comme contrepartie de l’intégration de son épargne dans un système plus vaste, néerlando-flamand pour la Flandre, français pour Bruxelles et la Wallonie qui en dépendent déjà respectivement à plus de 70% et 60%.

Comme on le voit, les lignes géostratégiques ont bougé en Belgique en raison de la crise. Ceci provient du fait que le marché de l’épargne n’est pas un simple carrefour d’offres et de demandes, comme le marché des biens agricoles ou industriels. C’est un lieu stratégique majeur sur lequel s’effectue le financement de l’état souverain, ce dernier demandant à l’organisme financier, banque ou compagnie d’assurances, en contrepartie de cette collecte, d’absorber les titres de la dette souveraine émis pour financer le déficit budgétaire courant. En voulant sauver Fortis et Dexia (ce qui était de sa responsabilité historique et ne saurait lui être reproché), l’état fédéral belge s’est démuni de son levier principal qui lui permettait de financer son déficit et sa dette. Il a placé cette fonction entre les mains d’opérateurs tiers qui ont leur propre logique et leur propre stratégie.
En s’ouvrant la poitrine pour sauver son système bancaire, comme le pélican s’ouvre le flanc pour nourrir ses enfants, le gvt fédéral a peut-être emprunté un chemin de non retour et les Wallons et les Bruxellois ont peut-être accompli plus qu’un pas vers de nouvelles solidarités avec la France.

François Barberis